mercredi 23 mai 2007

MEINRAD P. HEBGA - RUPTURES SCIENTIFIQUES ET JOINTURES ICONOCLASTES

Par Charly Gabriel Mbock

Résumé :

Le cheminement scientifique de Meinrad Hebga dessine, en pointillé, une méthode nourrie d’esprit de passerelle où l’articulation de réalités réputées incompatibles dépasse la juxtaposition. Au plan social, cette méthode traque ceux qui, pour avoir confondu raideur et rigueur, n’arrivent à susciter que des exclusions.

C’est à cet esprit de méthode que nous voudrions intéresser son lecteur, la qualité d’un résultat scientifique étant tributaire de la méthode appliquée.

Par exigence méthodologique, Meinrad Hebga ouvre systématiquement sa quête par une circonscription rigoureuse de son point de parole, véritable levée topographique par laquelle le chercheur borne son champ d’investigation et définit le lieu géométrique de son exercice.

Loin de se réduire à un réflexe de métier, cette disposition exprime une humilité dont le chercheur voudrait par moments se prévaloir pour atténuer sa pugnacité. Vaine tentative. Car une fois ce point de regard défini, l’analyse se déploie de ruptures en jointures, au milieu d’icônes sourcilleuses que le chercheur tantôt contourne, tantôt déplace ou bouscule en fonction de la pépite à extraire ou du poncif à dépoussiérer. Hardiesse pas toujours très catholique

L’esprit de méthode lui inspire une conception du savoir – d’où il ressort qu’il n’est de connaissance véritable - par la science ou par la foi - que dûment articulée et rigoureusement située. L’objet d’étude et la méthode se reflètent ainsi comme par un jeu de miroirs.

Les savants disent que la pertinence d’une œuvre scientifique s’évalue à cette adéquation, véritable ligature consubstantielle, entre un outil méthodologique et les résultats de son application.

RUPTURES SCIENTIFIQUES ET JOINTURES ICONOCLASTES

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Introduction

  • L’homme tridimensionnel
  • Monisme – Dualisme – Triadisme
  • L’establishment cognitif présumé « scientifique »
  • Rupture avec l’empirisme de la « première vue…»

I – SAVOIR CONNAÎTRE

  • La circonspection
  • La capacité d’étonnement
  • La distance méthodologique
  • Prémisses d’une épistémologie

II – LA SCIENCE : TROIS IMPERATIFS THEORIQUES

  • Une valeur de situation
  • Un défi de con-science et d’ex-istence
  • Une portée de religion
  • Tout savoir est un…dépassement

III – CHAMPS D’APPLICATION BIPOLAIRES

  • L’inculturation : un marcottage religieux
  • Ndimsi : le paranormal
  • Le pouvoir en Afrique

IV - L’OBJET ET LA METHODE : DEUX MIROIRS, UN SENS

  • Reflets, Réflexes, ou Réflexion…
  • Le Sens : signification et orientation
  • Pour une économie de la connaissance

Conclusion

  • Péguy, l’autre catholique de la connectique
  • Le lit de camp…
  • Le « là » et « l’au-delà »
  • Les trois âges de la connaissance
  • Meinrad P. Hebga : de la science à la compétence.


MEINRAD P. HEBGA:

RUPTURES SCIENTIFIQUES ET JOINTURES ICONOCLASTES

« Nego consequens et consequentiam »
(Je nie la conclusion et son lien logique avec les prémisses)

Meinrad Hebga

Introduction

A en croire Alain, « penser c’est dire non ».

Le philosophe ne réduit certes pas la faculté de penser à la capacité de négation. Il suggère néanmoins que toute pensée fructueuse s’exprime en rupture avec les clichés de la routine en renonçant aux commodités sécuritaires et au confort intellectuel que garantit le conformisme.

La première rupture de Meinrad Hebga porte sur la conception de l’homme. L’histoire de la pensée montre que plusieurs courants présentent une vision de l’homme : les uns le définissent par son unidimensionnalité, les autres par son dualisme. Marx le perçoit par le monisme matérialiste, Hegel par le monisme spiritualiste. Et le titre célèbre d’Herbert Marcuse, L’Homme unidimensionnel (1964), résonne comme la mise en vacance du dualisme platonicien - qui suppose à l’homme une âme et un corps.

En rupture avec le monisme et en dépassement du dualisme dont il constate du reste « l’ambiguïté aporétique » chez Aristote et Platon (1998,47), Meinrad Hebga (1998,20) préconise « le schéma triadique du composé humain » : l’homme s’y appréhende comme valeur tridimensionnelle : une âme, un corps, et un contexte socioculturel.

Ce préalable conceptuel inspire sa rupture avec l’establishment cognitif à présomption scientifique. Meinrad Hebga (1978,16) ne se reconnaît aucune obligation de sympathie envers ceux qui ne savent être que savants, et qui croient pouvoir tout expliquer : « si vous dîtes qu’un jour la science expliquera tout et que l’homme n’aura plus besoin de religion, je vous reconnais le droit de professer votre foi « laïque », mais de grâce ne l’appelez point certitude rationnelle ou scientifique, vous agaceriez les savants authentiques ».

Il interpelle Jacques Monod non pour son option idéologique d’athée, mais à cause de sa contradiction et de son inconséquence méthodologique: « ne l’interrogeons pas sur la notion confuse et idéologique d’animisme, mais il est significatif qu’un incroyant refuse à la réfutation de la religion tout caractère scientifique » (Hebga, id.17)

C’est encore pour cause d’arbitraire et de désinvolture méthodologique qu’il reprend Bultmann dont l’exégèse de l’évangile de Jean ne serait qu’une « construction ingénieuse ». Meinrad Hebga s’en désolidarise sévèrement : « J’aime mieux passer pour le dernier des ignorants en exégèse (ce qui ne m’empêche pas de dormir) que de m’extasier devant de tels tours de passe-passe» (1978,44) Il traque résolument toute forme de charlatanisme[1] et de prestidigitation méthodologique.

Mais c’est dans le liminaire de Dépassements que l’essayiste cristallise son esprit de méthode : à quatre reprises il dénonce la connaissance de « première vue », et se demande « si en cherchant bien nous ne trouverions pas… ». Aussi consacre-t-il sa rupture avec tout empirisme primaire que seules nourrissent l’habitude, la superficialité et la quête des conforts de pensée fondés sur des idées reçues.

Par son itinéraire méthodologique, Meinrad Hebga autorise de penser qu’en matière de science ou de connaissance, un franc désaccord demeure, de loin, plus fructueux qu’une caution complaisante. Connaître ne suffit pas ; il faut savoir connaître, car toute connaissance fiable tient au processus de la connaissance, à la méthode qui y conduit.

I – SAVOIR CONNAÏTRE

Le processus de la connaissance, tel du moins que Meinrad Hebga le suggère, présente ses exigences propres. Nous voudrions en signaler trois : la circonspection, la capacité d’étonnement et la distance méthodologique.

La circonspection l’incite à prôner la démythification, pour « s’arracher à l’envoûtement collectif » de certains prophètes ou savants « sur des admirateurs béats » (1978,44-45).

Connaître l’Eglise ? « Au-delà des apparences immédiates (…) elle a une face cachée ». Nous ne pouvons cependant y accéder que « si nous avons la patience de scruter et de chercher au-delà de ces premières impressions » (1978, 9).

Connaître une personne ? « Parfois, l’aspect d’une personne, ses propos, ses attitudes nous déplaisent ou nous choquent. Nous lui collons alors une étiquette. Nous la classons dans notre savant répertoire si ce n’est dans notre bestiaire. L’idée ne nous vient pas que toute personne est un mystère, qu’elle est un être en mouvement échappant à toute classification qui la fige, un au-delà, un horizon fuyant » ( id. 9).

Le magistère ecclésiastique ? « A première vue [il est] une entrave à notre liberté de penser et de communiquer. Mais à y regarder de près (…) ».

Et l’inculturation ? « A première vue, le projet d’inculturer, d’africaniser la religion et la théologie chrétiennes procède d’un nationalisme malsain et menace l’unité et l’universalité de la foi. En réalité, au-delà des apparences trompeuses, il y a un attachement sans compromission à l’unité et à la catholicité »

La capacité d’étonnement est le second ingrédient de l’itinéraire scientifique. Dans ses Jalons, E. Njoh Mouelle y voyait le déclencheur de la réflexion philosophique[2]. Meinrad Hebga en ferait volontiers le déclencheur du processus de la connaissance.

Tel est du moins le point de départ de ses recherches sur la sorcellerie et le paranormal : pour s’être étonné d’un besoin réel au sein des populations, de leur engouement et de leur réceptivité, il prend le risque d’étonner. Qu’est-ce qui a bien pu inciter « un prêtre catholique à consacrer des années de recherches à ce qui apparaît comme le royaume de l’antireligion » (1979,12) ?

Dans le domaine de l’art, la capacité d’étonnement n’est rien moins que cette puissance d’enfance qui impulse la créativité. En fait d’étonnement, il serait plus technique pour l’occasion de parler d’inquiétude scientifique, cette interpellation de l’intelligence analytique que provoque une situation inédite et passablement inexplicable.

En l’occurrence l’inquiétude scientifique vient de la situation que Meinrad Hebga observe pendant ses tournées pastorales, et où la condition d’admission au catéchuménat et au baptême était de renoncer à sa personnalité et à sa culture : il s’étonne de « la passivité et de l’inconscience de ceux qui se laissaient déposséder de leur culture et de leur identité propre par les Européens ou des Africains européanisés » (1979,13). Mais au constat de « l’écartèlement entre les deux appartenances culturelles et religieuses mal intégrées », il éprouve « le désir d’aider au moins quelques-uns à mener cet effort d’examen et d’unification intérieure » (id. 14)

Le constat d’«écartèlement» et la volonté d’«unification » sont deux clés majeures de sa méthodologie, l’une fonctionnant en dépassement de l’autre.

La distance méthodologique est une exigence indispensable à plusieurs titres. S’il est incontestable, de par son érudition, que Meinrad Hebga s’est abreuvé à diverses sources, il ne l’a jamais fait sans distance : « Je consens à suivre les savants dans le laborieux dépeçage des textes originaux grec et hébreu et dans leurs excursions à travers les sources extra-bibliques, ou encore dans l’échafaudage de théories acrobatiques. Mais cela fait, je prends mon repos dans Jean Chrysostome… » (1978,43-44).

Sa reconnaissance de dette n’empêche pas sa distanciation vis-à-vis des précurseurs. Meinrad Hebga applique le même souci de distance à ses propres sujets de recherches. L’objectivation ne garantit pas forcément l’objectivité ; mais qu’il s’agisse de la science ou de la foi, le processus de compréhension ne saurait réduire à l’assimilation. Meinrad Hebga (1978,47) s’appuie donc sur Henri de Lubac qui a identifié deux principales tentations chez le croyant, l’homme d’église et le chercheur :

- a)- la tentation d’assimilation qui conduirait le chercheur à se noyer dans son objet de recherche sous prétexte d’empathie ; et qui réduit certains prêtres à instrumentaliser l’Eglise, à la mettre à leur service en prétendant la servir.

- b)- la tentation critique «tapageuse », faite de provocations, et qu’il faut savoir débusquer « sous le déguisement du bien ».

Au regard de leurs objets, les travaux de Meinrad Hebga s’obligent à une distance méthodologique par esprit de mesure. Ils autorisent de penser que si pour la science la connaissance vit de distance médiatrice, pour la foi elle vit d’intermédiation. Dans un cas comme dans l’autre, la connaissance véritable se passe d’immédiateté.

Ces trois indications d’accès au savoir permettent à Meinrad Hebga de prendre en défaut les adeptes du « cartésianisme hautain »(1998,21), dont certains cèdent au mélange de genres en confondant leurs champs d’analyse. « Des théologiens amateurs et des hommes férus de vulgarisation scientifique invoquent gravement la science pour démontrer l’existence ou la non existence de Dieu. Il faut les renvoyer dos à dos et leur montrer qu’ils se meuvent, en réalité, sur le terrain de la métaphysique, mais absolument pas sur celui de la science. Or une métaphysique ne peut en réfuter une autre, puisqu’elles s’appuient toutes deux sur des arguments invérifiables par définition » (1978,15-16)

L’important ici n’est pas la dénonciation, mais la confirmation implicite que le savoir repose sur la fiabilité des arguments et non sur la résonance des arguties.

L’essentiel ne semble donc plus tant de connaître ou d’affirmer la somme de ses connaissances que de savoir connaître. En s’astreignant à l’application de quelques exigences méthodologiques sans nul besoin de les énoncer, Meinrad Hebga tient un discours pointilliste sur les techniques d’accès au savoir scientifique. Il n’aura pas eu besoin de dire le mot pour esquisser une épistémologie, une certaine conception de la science.

II- LA SCIENCE : TROIS IMPERATIFS THEORIQUES

Comme valeur de situation, la science ne se conçoit pas hors contexte. Meinrad Hebga (1978,86).ne conçoit pas de « pensée pure sans conditionnement ethnique, historique, politique ou idéologique » Toute connaissance s’enracine dans une époque, dans un milieu et dans une culture. A ce titre la théologie africaine - car elle existe, se veut « contextuelle ». « Le christianisme doit prouver dans les faits, qu’il sait devenir (…) congolais au Congo, nigérian au Nigeria, malgache à Madagascar et indien en Inde » (1978,61).

L’inculturation qui illustre concrètement cette option théorique en devient presque une opération agricole de marcottage. Elle bouscule certains conforts intellectuel ou idéologiques, mais le non conformisme qui la caractérise n’est pas de la non conformité. Le mystère de l’incarnation fonde ce choix, le Christ devant prendre corps pour et dans chaque « situation existentielle » (id. 82). La méfiance de Meinrad Hebga à l’égard des savants « bardés de scolastique, de kantisme, hégélianisme ou de toute autre philosophie étrangère » tient de ce souci d’enracinement et de mise en situation. Les Classiques avaient déjà disqualifié les connaissances livresques :

« Un prince dans un livre apprend mal son devoir

Les exemples vivants sont d’un autre pouvoir »

Mieux que des exemples vivants, Meinrad Hebga exige des exemples vécus : « Jésus Christ veut être Africain en Afrique » (id. 88), soutient-il à l’intention de tous ceux qui voudraient christianiser ce continent.

Comme défi de con-science et d’ex-istence, la science est créatrice de société en tant qu’elle est revendicatrice de partage. Quand il affirme que science sans conscience n’est que ruine de l’âme, Rabelais pose une question éthique que les recherches en génétique ont actualisée en ce début du troisième millénaire. Mais savoir exige de plus en plus de savoir avec, pour ainsi dire de con-savoir. Naguère, le savoir pour soi a érigé des tours d’ivoire ; il a été dénoncé comme tel pour avoir coupé le savant de son vécu socioculturel. Les jours des tours d’ivoire sont heureusement comptés, les éléphants menacés de disparition étant désormais une espèce protégée…

L’exigence de savoir avec, de savoir pour le partage, oblige donc à ex-ister, à sortir de soi et à se porter vers autrui. Il ne s’agit plus de cet autrui sartrien dont le regard « me vole mon univers ». Meinrad Hebga nous introduit dans un existentialisme où le regard d’autrui me fait, ou devrait me faire prendre conscience de ma propre existence. Dans cette optique, le savoir implique la communication et appelle la communion : il conduit celui qui en dispose à s’en dépouiller par esprit de partage. Cette disposition éloigne de cette manière de science où l’accumulation et la thésaurisation exacerbent un capitalisme scientifique qui fait parler des connaissances au pluriel. Au contraire elle préconise la kenosis[3], parce que la connaissance (au singulier) est une valeur qui permet d’aller au-delà de soi : c’est une valeur de transition, de rencontre et de partage[4].

Savoir c’est savoir avec, c’est con-savoir (Mit-weissen). Et toute science fiable est con-science. Nous pourrions parodier Rabelais : science sans con-science, savoir sans con-savoir n’est que ruine de l’homme. Aussi, est-ce comme impératif de communication au plan profane, et comme vocation de communion au plan de la foi que la science, par la kenosis qu’elle implique, s’appréhende dans «une double signification. Dieu n’est pas replié sur lui-même. Il est le Bien se communiquant », dit Meinrad Hebga.

Comme valeur de religion[5] au sens étymologique de ce terme, la science est un lien, qui s’épanouit comme un liant. D’où sa vertu de mise en rapport, de socialisation et de partage. Le rationnel doit être prolongé par le relationnel. Il n’est pas accidentel que dans ses travaux, Meinrad Hebga (1998) réserve une place de choix à Bergson et à Teilhard de Chardin.

Il s’agit en effet de rechercher des liens, des rapports qui jettent des passerelles entre ce qui affiche des apparences d’antagonisme ou des traits d’incompatibilité. Le fondement théorique de l’œuvre de Meinrad Hebga s’éclaire par cette disposition à établir des rapports inattendus ou contre nature, et partant des jointures iconoclastes - qui surgissent là où personne n’en soupçonnait ou n’en tolérait aucune. Il n’y aurait donc de savoir véritable qui ne soit un dépassement. Pour désigner cette technique d’accès à la connaissance, le lexique des nouvelles technologies de la communication parlerait de connectique. Mais un titre de Meinrad Hebga fonde à la nommer épistémologie des dépassements.

Ses champs d’application sont nombreux. Nous en avons retenus trois de bipolaires et, croyons-nous, d’essentiels : l’Inculturation, le Paranormal et le Pouvoir en Afrique.

III – CHAMPS D’EPREUVE

Les champs d’épreuve de cette épistémologie se rapprochent par leur bipolarité.

L’Inculturation nous situe dans le champ religieux de la foi chrétienne. Elle se pose comme marcottage[6]: la nécessité d’enraciner en Afrique le christianisme venu d’ailleurs. Ce n’est pas seulement deux régions géographiques, le Nord et le Sud qui doivent se reconnaître et s’accepter dans leurs spécificités. Pour leur «indispensable enracinement ontologique »[7], des hommes doivent incarner leurs cultures pour valoriser leur identité de créatures de Dieu. Passerelle, connectique ou dépassement, l’objectif consiste à :

  • résorber «le décalage entre l’expression philosophique et culturelle de l’unique foi par rapport aux traditions familières à nos peuples » (1978,70)
  • réduire «l’écartèlement entre les deux appartenances culturelles et religieuses mal intégrées » (1979,13)
  • permettre aux croyants de réussir leur effort « d’unification intérieure » (1979, ibid.)

Le Paranormal interpelle le rationalisme dit cartésien. Le commerce suivi de Meinrad Hebga avec de nombreux philosophes occidentaux et Africains ouvre des promenades instructives entre le phénomène et le noumène, et prévoit « l’échec de toute pensée qui s’oppose le corps comme un objet »[8]. Le terme rwandais ubuzima, ou « union du principe vital avec le corps » (id. p.100), lui semble contribuer à rendre compte de l’expérience africaine où « la vie ne tombe pas formellement sous le sens, mais à travers une série de signes qui l’annoncent plutôt qu’ils la montrent. Elle se laisse deviner plus qu’elle ne se fait voir » (1998,108).

Ainsi, plutôt que de s’évertuer à démontrer des « évidences », Meinrad Hebga fait des incursions hardies dans cet ailleurs existentiel que le rationalisme méconnaît par ignorance, mais que la sémiologie valorise par une herméneutique du relationnel. D’où la place qu’il reconnaît au Ndimsi et la patiente minutie dont il entoure la démonstration que le visible et l’invisible sont les deux versants d’une même colline existentielle.

Le champ du pouvoir en Afrique est visité avec le même souci de pont entre deux entités éloignées : les gouvernants et les gouvernés. Dans un contexte où la communication détermine les rapports humains, les pouvoirs africains tiennent à « former » l’opinion quand ils devraient simplement l’« informer » Les dirigeants se sont arrogés « des pouvoirs discrétionnaires et autocratiques sur les personnes » dont ils gèrent les aspirations par la frustration, sans souci de comptabilité, ni de compte rendu.

Sans doute tout pouvoir vient–il de Dieu…Pour Meinrad Hebga, (1978,25), « les chefs doivent gouverner en ayant sous les yeux le compte sévère qu’ils auront à rendre à Dieu sur leur gestion. A eux aussi de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et aux personnes humaines ce qui leur revient de plein droit ». Mais c’est en vain que l’essayiste scrute le ciel pour percevoir quelque lien entre le sommet du pouvoir et les populations à la base. Meinrad Hebga se résout à constater que le pouvoir en Afrique s’exerce sans foi, par des décisions dont la plupart riment avec déraison.

Un tel hiatus est révoltant ; mais ce constat de hiatus ne dément en rien la pertinence de l’épistémologie du dépassement, théorie du lien et du rapport, dont le souci d’articulation[9] et de jointure a permis d’identifier la rupture entre les détenteurs du pouvoir en Afrique, et les populations africaines.

Ces trois champs bipolaires retenus à titre indicatif, et la méthodologie du dépassement de cette bipolarité, permettent de relever que dans les travaux de Meinrad Hebga, l’objet et la méthode s’éclairent mutuellement comme par un jeu de miroirs.

DEUX MIROIRS : UN SENS

Il ne s’agit pas de simples reflets lumineux éblouissants. Chacun observe qu’il ne s’agit guère de réflexes non plus. La correspondance entre l’objet et la méthode appliquée à son étude procède d’une réflexion qui enrichit la pensée d’un sens nouveau. C’est comme signification inédite et comme orientation osée que ce sens nouveau nous interpelle. Meinrad Hebga invite, en réalité il incite - à penser sa prière, à penser son action, à vivre son rêve quand il serait si confortable de se limiter à rêver sa vie. La connaissance qu’il affectionne est celle qui émane de la réalité et qui, en retour, transforme ladite réalité. Les scientifiques traditionnels se préoccupent de leur impact sur la science. Loin de revendiquer le titre de scientifique, Meinrad Hebga (1998,18) rechercherait plutôt « l’impact de la connaissance » sur notre quotidien existentiel, tel que le prospectiviste Peter Drücker (1970) l’envisage dans l’optique de l’économie de la connaissance propre à notre monde en mutation.

Pour ne pas conclure…

Nous voudrions solliciter Charles Péguy, qui fut aussi un catholique pas très catholique. Lui aussi fonctionnait par ruptures et jointures, se préoccupait d’articuler et non de juxtaposer, se souciait de continuité en dépassement des contiguïtés. Il privilégiait le sens du lien qu’il nommait ligature.

A ceux qui opposaient le temporel et le spirituel, Péguy répondait que « le spirituel est couché sur le lit de camp du temporel ». A ceux qui percevaient des rapports conflictuels entre l’âme et le corps, il répondait qu’« on ne se sauve pas seul : toute âme qui se sauve sauve son corps ; tout corps qui se perd entraîne la perte de son âme ». Meinrad Hebga rejette avec constance toute connaissance désincarnée, non ancrée et non située. Pour avancer vers l’autre, il faut d’abord être soi. Quant à la foi, il montre à suffisance qu’il faut déjà valider un existentiel pour valablement postuler un au-delà spirituel. Car il n’existe d’ailleurs qu’en référence avec l’ici.

Enfin, Charles Péguy n’a pas seulement stigmatisé les savants de la Sorbonne ; il a identifié trois âges de la connaissance par ordre de grandeur croissante : l’empirisme, la science et la compétence.

L’empirisme participe du naturel, de cette spontanéité innée et originelle qui ne va point sans une certaine naïveté. Meinrad Hebga en tient compte, mais ne s’arrête pas à cette connaissance immédiate de « première vue…». Il s’en éloigne même prestement au profit d’un mode de connaissance plus élaboré, dit scientifique.

Mais comme Péguy, il se méfie des savants et décline tout statut de scientifique. Il dépasse donc ce deuxième âge de la science cumulative et hautaine au profit du troisième âge où la connaissance et le savoir participent du kenosis, de ce dépouillement et de cette modestie qui ramènent le savant aux valeurs d’enfance. Péguy désigne ce troisième âge par le terme compétence : « Il se produit ici un phénomène analogue à celui par lequel on sait que l’homme mûr (…) se rappelle avec une secrète prédilection l’âge de l’innocence et de sa candeur première et la préfère secrètement à l’âge des prétendues révélations scientifiques » (Péguy, La Thèse, p.167)

Comparaison n’est certes pas raison. Mais nous aurions voulu partager cette convergence entre deux personnalités aussi éloignées par leurs cultures, par leurs temps et par leurs vocations. Cette convergence s’observe jusque dans le pointillisme méthodologique de l’un et de l’autre. C’est ainsi que de l’épistémologie du dépassement à la couverture des trois âges de la connaissance, Meinrad Hebga trace, comme Charles Péguy, un itinéraire jalonné de ruptures scientifiques et de jointures iconoclastes. Il n’est pas inutile de souligner qu’entre Péguy et Meinrad Hebga, il s’agit d’une convergence fortuite, non d’un rapport d’influence.

En cette période de post-modernisme où les particularismes humains et les spécificités sociales cristallisent des exceptions culturelles et exacerbent des juxtapositions génératrices d’exclusions plurielles, l’épistémologie des dépassements, la méthodologie des passerelles, n’est pas la moindre des moissons que les travaux de Meinrad Hebga permettent d’engranger.

Les savants affirment qu’une œuvre accomplie s’évalue à l’adéquation entre l’objet d’étude et la méthode qui lui est appliquée.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

HEBGA (Meinrad Pierre) –

2005 - Apprends-nous à prier, Document Ephphata, 4è édition, Sept. 2005, 56p.

1998 – Rationalité d’un discours africain sur les phénomènes paranormaux,

Paris, L’harmattan, 364 p.

1995 – Afrique de la raison Afrique de la foi, Paris, Karthala, 207 p.

1982 – Sorcellerie et Prière de délivrance, Présence africaine et Inades Edition, 215 p

1979 - Sorcellerie, Chimère dangereuse… ? Abidjan, Inades Edition, 118 p.

1978 – Dépassements, Paris, Présence africaine, 89 p.

1976 – Emancipation d’Eglises sous-tutelle, Paris, Présence africaine, 174 p.

Autres

1970 - Drücker (Peter) - La Grande Mutation, Paris

1978 - Mbock (Charly Gabriel) – L’Enfance et le mythe des origines

dans l’œuvre de Charles Péguy, Thèse de 3è cycle, Paris, Sorbonne Nouvelle, 273 p.

Péguy (Charles) – La Thèse



[1] « Il faut pourtant être prudent et ne pas ajouter foi aux charlatans qui répandent et vendent leurs théories ridicules sur l’efficacité des différents psaumes… », in Apprends-nous à prier, Doc. Ephphata, Sept. 2005,p.4

[2] Cf. Mbock (C.G) – « L’esprit de culture dans les essais philosophiques d’Ebénézer Njoh Mouelle », in Cameroun : le défi libéral, Paris, L’Harmattan, 1990, 214p.

[3] « Action de se vider de soi, de se dépouiller » (1978,66)

[4] Il y aurait beaucoup à dire à ce propos sur les philosophies du mouvement ou de la rencontre telles que le personnalisme, l’existentialisme ou le hégélianisme. L’on y rencontrerait Heidegger, Kierkegaard, Jean Wahl, Mounier, Bergson, Teilhard de Chardin, etc…

[5] Etymologie traditionnelle : religio (lien), relegere (rassembler)

[6] « L’image qui rendrait le mieux l’idée d’inculturation serait la suivante : sans couper une branche du tronc d’un arbuste, on l’abaisse pour l’enfouir en terre. C’est seulement lorsqu’elle a poussé des racines adventices qu’on la sépare de la plante mère », cf. Dépassements, 1978,57)

[7] Marc Leclerc, cité dans Rationalité…, p. 17

[8] P. Ricoeur, 1947,98, cité dans Rationalité… p.97.

[9] Marc Leclerc « Articuler véritablement : non pas confondre les plans ni réduire finalement l’une à l’autre, comme dans les tentatives antithétiques de Comte et Hegel ; non pas juxtaposer non plus comme c’est le cas chez Kant ou Leibniz », cité in Rationalité… p. 16, note 12

jeudi 17 mai 2007

Du Futur à l'avenir dans l'an Prochain à Port-au-Prince de Bernard Hadjadj (Centre Culturel Français le 14 mai 2007)

Il est difficile de parler d’introduction dans un propos sur un ouvrage qui est, lui-même, une introduction. Mais à quoi introduit Bernard Hadjadj ?

Il se sert de Haïti comme prétexte pour explorer la problématique d’un avènement que devrait diligenter une gestion maîtrisée du temps, des temps et des conjugaisons. Cet ouvrage fait signe comme grammaire d’une vie en impatience d’existence. C’est en quoi il s’y pose la question de savoir comment nous autres Haïtiens, entendez vous et moi, pourrions transformer le futur en avenir.

Puisqu’il s’agit des temps et de la conjugaison, relevons que Bernard Hadjadj remonte à un passé composé de violences diverses, aussi atroces les unes que les autres. Cette dimension historique et descriptive de son œuvre n’est pas la plus importante, puisque malgré l’escamotage de l’histoire pour cause d’institutionnalisation de l’amnésie, chacun s’en est fait une idée dans son esprit à défaut d’en sentir la morsure dans sa chair. Et pour Lévinas que cite l’auteur, la violence consiste « à faire accomplir des actes qui vont détruire la possibilité d’acte ».

La violence se découvre comme un empêchement d’existence, processus dont l’objectif est d’organiser les impossibilités par l’entrave de toute possibilité.

Cet héritage de violences et de violations plurielles a fini par forger une psychologie à ses victimes : les spécialistes enseignent donc régulièrement que l’enfant qui a été violenté s’expose à violente, et que l’esclave sera tenté d’esclavagiser ; pour l’avoir subi, tous trouveraient « normal », certains disent « conséquent » et « logique » que la vie ne soit qu’un viol permanent de l’autre. Et ce serait l’une des multiples explications de la cohorte des dictatures dont Haïti est victime. Une fois au pouvoir, des esclaves libérés rétabliront l’esclavage, presque naturellement.

Parce que ce passé composé de violences n’aura donc pu produire qu’un présent en décomposition. Les tableaux poignants et les rappels vécus présentés au lecteur établissent au concret ce que Césaire a décrit par ses fulgurances poétiques. Il faut avoir vu ou lu Frankétienne pour prendre la mesure du volcanisme d’une écriture ou d’une peinture qui ne fait que recracher les laves par lesquelles ce présent est néantisé.

D’où, pour B. Hadjadj, « l’impératif de devenir acteur…». Non plus subir l’Histoire, mais la produire. Cependant s’il est possible d’être, je pourrais être. Je serai. Mais est-ce parce que je suis que nous sommes pour autant ? Pour l’auteur, devenir acteur consisterait à naître de la conjugaison[1] qui fait du passé composé et du présent en décomposition un compost de germination pour un être recomposé et composite qui se définit par la solidarité.

Il semble à l’essayiste que le plus grave préjudice pour un homme et pour son peuple c’est l’insularité existentielle : si vous êtes une île, vous n’existez pas, vous végétez. Pour être l’an prochain à Port-au-Prince, il est urgent de construire un radeau pour rejoindre l’autre et autrui afin de sortir de cette végétation insulaire.

Il faut adhérer à un humanisme de passerelle.

Par passerelle, nous entendons cette attitude d’ouverture et de réceptivité qui incite l’auteur à jeter un pont entre le peuple juif et le peuple haïtien. « La similitude entre le destin des Hébreux et des Haïtiens m’est apparu comme une évidence » (p. 6). Comparaison n’étant pas raison, l’homogénéité originelle du peuple juif n’est pas comparable à la disparité originelle des Haïtiens. Et s’il y a à l’évidence un peuple juif, on peut se demander s’il existe déjà un peuple haïtien, au regard de « cette foule qui ne sait pas faire foule » (Césaire).

Ce pont peut bien n’être qu’un simple pont de singes, aussi branlant que précaire, mais B. Hadjadj y croit si ferme qu’il a vu naître un personnage hybride, mélange d’Hébreu et de Haïtien : L’Hébraïtien. Pourquoi a-t-il cru devoir oser un tel croisement à l’heure ou la génétique pose des problèmes d’éthique ?

Parce que « Je » suppose «Tu ». Parce que « l’homme devient « je au contact du Tu » dit-il à la suite de Martin Buber (p.3). L’impératif de devenir exhorte de dépasser le rationnel pour le relationnel. Alors, « Tu » révèle le « Je » en dépassement du « Moi » déjà fort haïssable chez Pascal.

Parce que le « pour soi » exacerbe ce moi, il cultive l’inexistence de soi. Alors que c’est par la prise de conscience d’autrui qu’on « ex-iste » véritablement, qu’on peut sortir de soi pour s’accomplir : non point dans une immersion suicidaire dans l’autre, mais par une confrontation génératrice de convergences inédites.

En effet, l’essayiste s’appuie sur une « tension permanente et féconde entre fidélité et utopie. Entre singulier et pluriel, entre particularisme et universalisme » (p.9) Et il conclut : » l’essentiel est de cheminer vers les autres dans le respect réciproque et d’avancer ensemble vers des valeurs profondément humaines partagées, sans pour autant que les uns soient réductibles aux autres » (p. 6).

Ex-ister ? Emmanuel Mounier, le Personnaliste, Jean Paul Sartre l’Existentialiste et Henri Bergson le Mouvant sont passés par là, encore que nous pourrions évoquer Teilhard de Chardin…Certes nous sommes quelque peu éloigné du regard sartrien où « autrui me vole mon univers…», mais le défi existentialiste demeure entier, dans l’exacte mesure où le principe sartrien selon lequel « l’homme n’est que ce qu’il se fait » correspond au « Lekh Lekha » qui, en hébreu, signifie : « va vers toi-même ».

Dans cette pulsion créatrice de soi, B. Hadjadj interroge sévèrement les religions et les rites qui se réclament du surnaturel. Malgré l’étymologie, il se demande si les religions relient vraiment, ou si elles constituent plutôt des entraves à l’avènement des acteurs en société.

Il lui semble en effet que la plupart cultivent et se fondent sur l’essentialisme, le fatalisme et le défaitisme. Or « le fatalisme, dit-il, conduit à l’inaction et donc à une attitude spectatrice et non critique face au présent tout en obérant toute œuvre future » (p. 44).

Nous ne sommes donc sorti ni de la grammaire de la vie, ni des temps, ni de leur conjugaison. Et parce que ni le présent ni le futur ne sont correctement conjugués, vous entendrez chez nous à Haïti : « Bondiè bon, seul Jésus capab » (p. 47). L’essayiste va donc interpeller le charlatanisme religieux et les sociétés secrètes. Hannah Arendt débusque ces dernières à la source des totalitarismes ; il faut l’écouter : « les sociétés secrètes (…) adoptent une stratégie de mensonge cohérent pour tromper les masses extérieures non initiées, exigent une obéissance aveugle de leurs membres, unis par l’allégeance à un chef souvent inconnu et toujours mystérieux… Avec les sociétés secrètes, les mouvements totalitaires ont aussi en commun la division dualiste du monde entre les « frères de sang jurés » et une masse indistincte, inarticulée, d’ennemis jurés » (cf. Les Origines du totalitarisme, Eichman à Jérusalem. citée p. 90)

Dans le même souci de mise au point en matière de religiosité, B. Hadjadj s’inspire de Kierkegaard et fait une distinction sévère entre le christianisme originel et le christianisme productiviste et de conquête où « un prêtre, au nom de Dieu, bénit le poignard ». (cf. p.98)

Tout le monde n’est pas obligé de se révolter. Mais l’essayiste estime que pour son avènement comme acteur producteur d’avenir, l’Hébraïtien ne peut naître que d’une rupture.

Il lui incombe de rompre avec les mimétismes et autres singeries aux divers plans administratif, économique, organisationnel et linguistique, le mimétisme linguistique n’étant, selon la forte expression de Jean Claude Bajeux, qu’une « claudication verbomotrice ».(cf. p.57).

Rupture avec la différenciation sociale, dont l’une des manifestations est « le Combité », ou pour un « échange inégal » le travail est organisé de manière à offrir un travail valorisant aux uns, toujours les mêmes, en imposant une corvée déshumanisante aux autres, toujours les mêmes. (p.20 et suiv.)

Dans cette dynamique de rupture, il s’agit de faire tomber le mur qui fragmente la société en espaces publics et privés, réservant du même fait l’opulence aux uns et les privations aux autres. Car c’est précisément de cet espace public que sont exclues les populations. Et c’est à partir de cet espace public que l’Etat se fait contre la Nation. A un moment, et personne ne se reconnaissant en lui, cet Etat devenu étranger au peuple s’estime en devoir de se défendre contre la nation qu’il avait pourtant vocation à organiser et à protéger. Il en découle que « voler l’Etat c’est pas voler ». Chez nous, à Haïti, vous entendrez les professionnels du pillage et du gaspillage dire : « C’est l’Etat qui paie »…

L’impératif de rupture est indispensable à l’avènement de la liberté comme clé politique du "Tèt ensemb" (Etre ensemble). La liberté personnelle est nécessaire à la conquête de la liberté collective, en vue d’une action sociale coordonnée. B. Hadjadj reprend volontiers Cornélius Castoriadis : « Nous voulons la liberté pour elle-même certes, mais aussi pour pouvoir faire des choses. Si l’on ne peut ou ne veut rien faire, la liberté devient pure figure vide » (cf. note p. 16) Dans La Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt confirme cette vision : « c’est la possibilité d’action qui fait de l’homme un être politique, elle lui permet d’entrer en contact avec ses semblables, d’agir de concert, de poursuivre des buts et de former des entreprises » (citée p. 77)

Cette liberté pour l’action ne s’exerce cependant avec fruit que si l’on partage le syndrome de Moïse, à savoir : « renoncer à être le contemporain de l’aboutissement, agir sans entrer en Terre Promise ». La raison en est qu’il faut savoir s’oublier pour devenir inoubliable

Rendu à ce niveau de notre lecture, la question resurgit : le futur haïtien a-t-il un avenir ?

Cette question est lancinante, face à un Etat qui semble avoir démissionné de la presque totalité de ses missions sociales. Prenons l’éducation à titre illustratif. « L’éducation, dit Emile Durkheim, répond avant tout à des nécessités sociales » (cité, p.) Or dans un Etat démissionnaire, l’analphabétisme semble organisé; et l’école semble devenir une usine d’analphabètes parce qu’on s’est satisfait de la scolarisation alors que la nation a besoin d’instruction. Mais quand on est un pays sans société, à quoi diable peut-on bien éduquer, pourrait-on se demander ? Tout laisse donc craindre que les pouvoirs ne travaillent qu’à prolonger subtilement la politique coloniale résumée en 1988 par Jean Fouchard dans Les Marrons du syllabaire: « le gouvernement français a reconnu que la nécessité d’étendre et de généraliser l’instruction est incompatible avec l’existence de nos colonies qui reposent sur l’esclavage et la distinction de couleurs…Ce serait donc imprudence bien dangereuse de tolérer des écoles pour les nègres et les gens de couleurs » (cité, p. 70)

Au terme d’un tel tableau, Fleury Féquière semble fondé à déclarer qu’il est « honteux qu’à l’état indépendant, nous comprenions si mal nos obligations essentielles envers nous-mêmes » cité p.70.

Mais entre l’Etat devenu démissionnaire après s’être voulu providentiel, entre le christianisme productiviste et la production économique concrète d’un Hébraïtien artisan de son destin, nous voudrions écouter Rabbi Yohannan : « Si tu es en train de planter un olivier et qu’on t’annonce l’arrivée du messie, achève d’abord de planter ton olivier, et ensuite seulement, va accueillir le Messie » (cité par Thomas Madiou, p. 48).

Mais l’incontournable Hugo l’a dit : « quand je vous parle de moi, je vous parle de vous, Oh insensé qui crois que je ne suis pas toi ! ». L’humanisme de passerelle implique que chacun se porte vers l’autre et se reconnaisse en autrui. En sortant de ma lecture, je me suis surpris à observer que tout vécu d’humaniste parle à toute l’humanité. Car en plus de Camus qui expliquait par l’absurde le statut d’exclus subi par L’Etranger, l’ouvrage de B. Hadjadj rappelle le mot de Térence : « Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».

Pour ne pas conclure, puisque ce livre est une introduction, je voudrais rappeler que Thalès fut un jour moqué par sa gouvernante : à force de scruter le ciel et les étoiles, son maître tomba dans un trou. « Maître, lui dit-elle, au lieu de regarder si loin, que ne regardez-vous où vous posez vos pieds » ! C’est probablement à ce genre de chutes que nous devons un théorème.

Mais je demande à B. Hadjadj pourquoi il nous parle d’un village aussi lointain alors qu’il lui suffisait de parler du pays où il réside en ce moment ?

Nous attendons le Tome II : L’an prochain à Yaoundé



[1] Lier par un même joug

vendredi 11 mai 2007

APPEL DE MÔM (27 avril 2007)


UNE ORAISON POUR UN HORIZON


Mesdames et Messieurs,

Camarades,

J’ai enlevé mes chaussures avant de prendre la parole. Pourquoi ? Parce que ceux qui nous attendent à Môm depuis le 27 décembre 1956 ont transformé ce modeste coin du Cameroun en un lieu sacré.

Il y a 51 ans en effet, certains de nos parents ont été, ici même, lâchement assassinés. Ils n’ont pas eu droit à un enterrement décent. Leurs dépouilles en décomposition étaient à la merci des chiens et des charognards. Ceux qui étaient à l’origine de leur assassinat s’en sont débarrassés par une inhumation de fortune dans une fosse commune.

En votre nom à tous et en ma qualité de Député à l’Assemblée Nationale du Cameroun, je prends humblement acte de la manière dont chaque confession de l’Eglise au Cameroun s’est distinguée pour l’événement qui nous rassemble aujourd’hui. Qu’il me soit donc permis de dire toute ma sincère gratitude à l’Eglise Presbytérienne du Cameroun, ici valablement représentée par le Révérend Pasteur Lingôm de la Paroisse Botnem à Bômb Lissôm : à travers lui, cette confession religieuse a accepté d’entourer les familles éplorées et mutilées qui, depuis 51 ans, attendaient de faire le deuil de leurs parents disparus.

C’est un triple devoir qui nous réunit à Môm Dibang: un devoir de mémoire, un devoir de gratitude et un devoir d’avenir.

Un devoir de mémoire…

Les martyrs de l’indépendance et du nationalisme camerounais étaient des jeunes gens ; ils étaient beaux ; ils étaient en bonne santé. Ils sont venus à Môm pour que le prêtre Ngote leur livre son chasseur - un certain Bikaï qui venait d’assassiner un upéciste par balle à Song Mawém. Pour protéger son assassin de chasseur, le père Ngote a plutôt fait secrètement mobiliser l’armée coloniale, au prétexte que les nationalistes venaient l’assassiner, lui. C’est ainsi ces jeunes gens sont tombés sous les balles d’une embuscade, victimes d’une contrevérité pas très catholique. Même les médiateurs accourus pour permettre de raison garder ont subi l’aveugle fusillade de l’armée coloniale convoquée sous un saint mensonge…

En 1956, l’Eglise catholique dirigée par des missionnaires coloniaux était férocement hostiles aux nationalistes. Le prêtre camerounais, tout au service du maître colonial, traitait ces derniers de communistes et, pour les traquer, n’hésitaient pas à violer le secret du confessionnal. Mpôdôl a laissé des écrits sur ces regrettables incompréhensions. Nous craignons de constater que 51 ans après, les choses n’ont pas vraiment changé malgré les sermons sur la foi chrétienne et l’amour du prochain …

Le crime de ces jeunes Camerounais était donc d’avoir osé rêver d’un Cameroun indépendant, d’un Cameroun de dignité, d’un Cameroun où le minimum vital serait garanti au maximum de gens. L’indépendance du Cameroun était leur raison de vivre. Ils ont fait de cette raison de vivre une raison de mourir. Parce qu’ils voulaient que les filles et les fils du Cameroun se sentent pleinement chez eux au Cameroun, on les a baptisés « rebelles ». Ils sont morts pour que vous et moi puissions exister comme citoyens dans un pays de liberté, et non plus comme esclaves dans une plantation coloniale d’outre-mer. La Bible enseigne qu’il n’y a pas meilleure preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.

Oui, Mesdames et Messieurs,

Ce sont des enfants du Cameroun qu’on a massacrés ici. Ils ont donné leur vie pour que le soleil brille pour tous les Camerounais, sans discrimination. Nous connaissons quelques noms de ces Martyrs de Môm. Le Patriarche André Bissim - que j’ai l’honneur de saluer - a vécu en direct ces tristes et sanglants événements. Il a commencé à dresser la liste de ceux qui sont tombés sous les mitraillettes du génocide colonial.

Mais de Môm à Ekitè, de Ngambè à Mbébè Kikot, de Genève à Bafoussam, de Putkak à Libél li Ngoï, nos Martyrs sont si nombreux qu’à vouloir les citer tous, nous risquons d’en oublier beaucoup. Or c’est en leur mémoire à tous que nous avons érigé ce monument symbolique. Puisque nous ne voulons oublier personne ni frustrer aucune des familles mutilées, nous avons demandé conseil : dans votre grande majorité, et par générosité, vous avez estimé que la meilleure manière de penser à chacun de nos Martyrs est de les réunir tous et de les protéger par un affectueux anonymat.

Chacun de nous pourra, dans l’intimité de son cœur, donner un nom connu et un visage familier au défunt qu’il aimait et qui se sera sacrifié pour l’indépendance du Cameroun. Maintenant si vous le décidez, Môm Dibang pourra, chaque 27 décembre, devenir un lieu de pèlerinage collectif et de recueillement intime en l’honneur des Martyrs de l’indépendance. Voilà pourquoi je propose d’appeler ce monument : Mémorial du Martyr Inconnu.

Nous sommes à Môm Dibang pour nous souvenir. Mais nous sommes venus ici pour tous ceux qui se sont sacrifiés dans tout le Cameroun pour notre Indépendance. Nous avons le droit de nous souvenir. Tant que certains s’acharneront à nous refuser ce droit, nous nous acharnerons à en faire un devoir. Car tout le monde peut s’arroger le droit de bafouer vos droits, en toute autocratie, et même en toute théocratie. Mais personne ne peut vous empêcher d’assumer vos devoirs. Et l’un des premiers droits de la personne humaine est le droit d’assumer son devoir.

Nous sommes ici en revendication de notre droit au devoir de mémoire. Le devoir de mémoire ne nous enferme pas dans le passé. Bien au contraire, le devoir de mémoire est ce qui garantit le droit à un avenir. La mémoire d’un peuple est la clé qui ouvre ce peuple à son avenir. Nous sommes donc à Môm Dibang pour que chaque Camerounaise et chaque Camerounais dise à sa voisine ou à son voisin : n’oublions pas. Souvenons-nous.

Si vous acceptez cette proposition, et malgré notre émotion, je vous prie respectueusement de vous lever, de vous décoiffer, pour une minute de mémoire à la gloire du Martyr Inconnu

Un devoir de gratitude…

Certains descendants des Martyrs de l’indépendance ont abandonné l’héritage patriotique de leurs parents. On en trouve même parmi les plus farouches ennemis de l’UPC pour laquelle leurs parents se sont sacrifiés. Pour ceux-là aussi, ce Mémorial est d’une très grande importance. En effet, quand ils pensent à leurs parents défunts, ils reconnaissent au fond de leur cœur qu’il est nécessaire que chacun de nous se réconcilie au présent avec son passé pour la construction de l’avenir.

Nous sommes donc heureux que des Camerounais d’autres partis politiques se soient joints à nous dans cette prière organisée pour nos parents communs. Au-delà des partis politiques, nous sommes membres d’une seule et même famille de souffrances et de frustrations. Quand il n’existerait plus des liens d’affection familiale pour cause de dispersion politique, nous serions encore intimement unis par des liens de souffrance et de mutilation. Le pouvoir nous utilise les uns contre les autres en organisant une course fratricide aux intérêts matériels et ponctuels. Il nous appartient de savoir que nous sommes liés, mais alors profondément liés par le sang de la fraternité, et surtout par le sang de nos Martyrs. Aucun avantage, aucune position dans les organigrammes de l’Etat ne devrait nous pousser à profaner la mémoire de nos parents disparus.

Quant à vous, Martyrs de l’UPC, depuis 51 ans vous êtes très inconfortablement entassés dans une fosse. Ce n’est pas vous qui reviendrez négocier des postes de Ministres, des mandats de Députés ou des sièges de Conseillers municipaux ! Mais aujourd’hui, grâce à votre sacrifice, le Cameroun a des Ministres, des Députés et des Conseillers municipaux. Certains d’entre eux portent les couleurs de l’UPC. Savent-ils seulement qu’ils ont une dette morale vis-à-vis de vous ? Ils vivent de votre mort sans penser à faire vivre votre mémoire. Comment expliquer que malgré des invitations personnalisées, ils ne se soient pas dérangés pour se recueillir avec nous sur cette fosse commune qui vous tient lieu de tombeau ? Vous n’exigez pourtant de personne qu’il vous signe une reconnaissance de dette. C’est à chacun qu’il revenait de reconnaître son devoir moral, en son âme et conscience. Cela suppose, bien entendu, que nous ayons encore tous une âme et une conscience…Nous les avons invités. Ils devaient même prendre la parole. Mais ils ne sont pas venus. Et pourquoi ne sont-ils pas là ? La raison est simple : quand on a choisi le camp des bourreaux, on n’ose plus se montrer à la célébration des victimes.

Heureusement, l’UPC 48 n’est ni l’UPC des Ministres, ni l’UPC des Députés, ni l’UPC des Conseillers municipaux. L’UPC 48 ne sera ni l’UPC des Sénateurs, ni l’UPC des Conseillers Régionaux. L’UPC 48 est l’UPC des populations militantes du Cameroun. Elle n’est donc pas une échelle dont il faut se servir pour une ascension individuelle. L’UPC 48, la seule digne d’être citée, est une cause sociale qui mérite un dévouement individuel pour des victoires sociales collectives.

Merci donc encore à vous tous qui êtes venus ; car nous pouvons considérer, sans prétention, que c’est aujourd’hui seulement que s’ouvre le cycle de l’enterrement de nos Martyrs, de tous les Martyrs de l’indépendance, après de longues décennies d’ingratitude.

Chers Parents Martyrs, nous sommes vos enfants. Et nous sommes là.

Nous sommes venus nombreux, de partout et de loin, vous dire toute notre profonde reconnaissance pour la leçon d’engagement patriotique que vous avez administrée à la nation entière.

Nous sommes venus nombreux, de partout et de loin, vous dire que le sacrifice de votre vie n’a pas été inutile. Vos dépouilles mal enterrées ne sont pas seulement des reliques : elles constituent une semence d’avenir. L’arbre dont vous étiez la graine a réussi à pousser contre vents et marées. Il porte déjà deux fruits magnifiques : l’indépendance et la réunification du Cameroun. Cet arbre est en pleine floraison; non sans difficulté, il ne lui reste qu’à porter son troisième fruit magnifique : « l’évolution très rapide des populations et l’élévation de leur standard de vie ».

Même les complices de votre assassinat reconnaissent aujourd’hui, avec 60 années de retard, que c’est l’UPC 48 qui avait - et qui continue d’avoir une vision saine, juste et humaine du destin du Cameroun. Les héritiers de ceux qui vous ont fait massacrer copient maladroitement votre programme dans leurs discours. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que l’UPC n’avait pas un programme de discours, mais un programme de travail, un programme de réalisations concrètes et visibles, durables et rentables sur le terrain. Le malheur du Peuple du Cameroun reste cependant que la gestion du Cameroun indépendant a été confiée à ceux-là mêmes qui luttaient contre l’Indépendance.

Martyrs de l’UPC 48, vos enfants sont là.

Nous sommes venus nombreux, de partout et de loin, vous dire que vous n’êtes pas seuls. Notre présence massive signifie que tous vos enfants ne vous ont pas abandonnés. Qui que vous soyez, où que vous soyez tombés, et quel que soit le lieu où vous vous trouvez en ce moment, notre prière filiale est brève : pardonnez-nous pour le retard que nous avons mis à vous enterrer. Nous restons vos enfants, vous le savez. Nous avons grand besoin de vous, maintenant sans doute plus que jamais. Ne nous laissez pas seuls.

Camarades,

Chers Patriotes et Sympathisants,

Votre dignité est d’avoir rejeté l’amnésie institutionnelle. Vous avez refusé l’oubli organisé. Contrairement à ce qu’on impose à nos enfants dans certains manuels scolaires, l’histoire politique du Cameroun ne commence pas en 1960, encore moins en 1982. L’amnésie entretenue n’est qu’un attentat de plus contre l’identité nationale. Nul ne peut vivre de ses seuls souvenirs certes, mais il n’est pas de vie véritable sans mémoire. Un peuple qui n’a pas de passé est un peuple sans avenir ; et les partis politiques qui n’ont aucune histoire à raconter ne peuvent raconter que des histoires. Quant à ceux qui s’acharnent à gommer l’histoire de l’UPC, ils ne réussiront qu’à se faire, eux-mêmes, gommer de l’Histoire de la République.

C’est dire que notre devoir de mémoire et notre devoir de gratitude sont des valeurs non négociables. Aucune de ces valeurs n’est liée à une quelconque intention de vengeance ; mais nous n’acceptons pas que des génocidaires persistent avec arrogance à diaboliser leurs innocentes victimes et à profaner leur mémoire. Chaque insulte aux Martyrs de l’Indépendance du Cameroun est une insulte au sens de la Patrie et de la Paix, deux valeurs que la devise du Cameroun indépendant exalte. C’est pourquoi nous n’applaudirons pas un pouvoir qui, par ses brutalités militaires d’hier et ses agressions administratives d’aujourd’hui, s’obstine à faire violence à nos parents défunts et à faire injure à notre devise.

Que ce pouvoir ne fasse rien pour nous, soit ! Que ce pouvoir ait même délibérément choisi de tout faire contre nous, soit ! Les persécutions dont nous sommes victimes durent depuis 1948 ! En 1955, le Bureau du Comité Directeur de l’UPC 48 dénonçait déjà « les provocations, les intimidations, les persécutions et les arrestations arbitraires (…) Aujoulat et Roland Pré croyaient qu’en agissant de la sorte, ils détruiraient le patriotisme camerounais pour asseoir des mouvements fantoches (…) mais ces hommes à courte vue n’ont pas été capables de comprendre qu’aucune force au monde ne détruira le sentiment d’un Peuple décidé à vivre libre ».

Et vous représentez un Peuple décidé à vivre libre dans un pays libéré ! L’UPC sera donc là où vous serez, non point là où le concubinage politique veut l’entraîner par compromission et cupidité.

Un devoir d’avenir

Les persécutions qu’on vous inflige sont ciblées. Plusieurs décennies après l’indépendance, plusieurs peuples du Cameroun demeurent victimes de l’indépendance même qu’ils ont revendiquée et arrachée au prix de leur sang. A titre d’exemple, les Basa’a, Bati et Mpo’o sont le seul peuple méthodiquement disloqué, et systématiquement éparpillé dans trois provinces différentes : le Sud, le Centre et le Littoral. Pourtant par son histoire patriotique et son homogénéité culturelle, par son étendue géographique, ses atouts économiques et sa position géostratégique, notre peuple mérite une Province, ou une Région. En plus d’une juste reconnaissance des sacrifices suprêmes que nous commémorons ce jour, ce serait non pas une récompense – dont nous n’avons que faire - mais un indicateur significatif de bonne gouvernance.

Si d’autres n’y pensent pas - et puisque les autres n’y pensent pas - notre devoir de mémoire nous inspire un devoir d’avenir. Et notre avenir passe par le rassemblement administratif de notre peuple. Non pour quelque stupide velléité de régionalisme, mais au nom de l’impératif de convergence et de reconstruction dont le Cameroun a manifestement un besoin pressant. L’indépendance d’une nation ne devrait pas indéfiniment servir d’arme de démantèlement, de dislocation ou d’écartèlement du peuple même qui s’est profondément mutilé pour ladite indépendance.

Hélas, qu’observons-nous aujourd’hui ?

Après vous avoir frustré de toutes vos aspirations légitimes, le pouvoir tient à nous frustrer aussi de la fierté d’être Camerounais, descendants de patriotes nationalistes, du peuple qui a impulsé la lutte pour l’indépendance. Le pouvoir et ses domestiques mettent le couteau sur cette légitime fierté qui nous rapproche presque instinctivement. L’acharnement contre l’UPC 48 traduit donc en réalité l’acharnement d’un pouvoir sur tout un peuple dont la marginalisation est, depuis longtemps, programmée. A la veille de l’indépendance, un Premier Ministre du Cameroun a menacé d’exterminer ce peuple par le feu. Quarante ans après, les objectifs ne semblent pas avoir changé ; seules les méthodes se sont raffinées : ce n’est plus par le feu, mais par la dislocation administrative et la discrimination professionnelle légalisée. Et comme le pouvoir colonial hier, le pouvoir néocolonial aujourd’hui corrompt les uns et les monte contre les autres pour se maintenir.

C’est pour cela qu’il y a autour de nous, et sans doute parmi nous, des personnes qui soutiennent étonnamment cette politique de dislocation, de dispersion et de marginalisation. Vous les entendrez tenir des discours sur l’unité de l’UPC et de notre Peuple ; en réalité ces personnes ne travaillent que pour leur affaiblissement par la division. Pour survivre, ils ont livré l’UPC et ses adhérents à ceux qui, hier comme aujourd’hui, oeuvrent pour la disparition de l’UPC et la liquidation par l’éparpillement de notre peuple !

Ces gens-là ont toujours faim. Et ils s’impatientent de s’asseoir à la mangeoire. Certains y sont installés depuis les années 60. Mais plus ils mangent, plus ils ont faim. Ces derniers temps, ils sont allés en concubinage sans vergogne : ils ont commencé par baisser les yeux ; puis ils ont baissé la tête. Aujourd’hui, ils baissent la culotte. On les croyait respectables. Ils ont été Directeurs dans nos administrations ou Ministres avant l’âge de 30 ans. Mais à près de 80 ans, ils persistent à confisquer le soleil et à boucher l’horizon à la jeunesse du Cameroun. Beaucoup ont soldé jusqu’à leur âge pour se maintenir dans une position de pouvoir dans le seul but de prolonger leur nuisance. Il faut cependant le dire : l’importance que nous avons dans la nation ne s’évalue pas nécessairement à notre capacité de malfaisance.

La dignité du silence aurait pu rester notre riposte morale à l’injure faite au patriotisme et au nationalisme camerounais. Mais il ne sert à rien de s’indigner face à une personne qui a perdu le sens de la dignité. Dans notre contexte où c’est le criminel qui culpabilise la victime, tout silence a valeur de démission. Nous ne démissionnerons pas de nos responsabilités. Nous devons être présents, au front, sur le terrain. Mobiliser nos modestes ressources humaines et matérielles pour une riposte citoyenne. Préparez-vous donc à battre l’imposture. Le concubinage politique ne passera pas. Ni dans le Nyong et Kellé, ni ailleurs au Cameroun.

En attendant, nous tenons à le préciser sur les reliques de nos Martyrs : c’est par légèreté que certains tentent rabaisser la mésentente des Upécistes à une querelle triviale de personnes. Il s’agit d’une dispute politique fondée sur un profond désaccord idéologique. L’UPC est un Mouvement de gauche, d’inspiration socialiste et progressiste. L’autre parti, l’arrière petit-fils d’ESOCAM, est un descendant de la droite colonialiste, libérale et conservatrice. On ne peut donc pas être de la gauche socialiste et progressiste et s’allier à une droite libérale et conservatrice.

Voilà pourquoi le prétendu Upéciste qui signe une prétendue alliance avec un parti de droite prouve qu’il ignore la vocation progressiste de l’UPC. S’il la connaît et signe quand même, alors il aura sciemment choisi de bafouer ladite vocation ; cela veut dire qu’il a fait un choix de transfuge par trahison. Car techniquement, historiquement et politiquement parlant, nul ne peut être de l’UPC et signer une alliance politique crédible avec…les autres là ! Ce genre « d’alliance » ne peut être qu’un pacte alimentaire, circonstanciel et opportuniste. L’opportunisme a obligé certains naufragés politiques à s’accrocher à un serpent ; mais l’opportunisme ne vaut pas un programme politique. Surtout pas un programme comme celui de l’UPC 48. C’est dire qu’aucune transaction, aucun contrat commercial progouvernemental ne fera ni vendre, ni acheter l’UPC. Que ceux qui font carrière dans le concubinage politique le sachent : ils offriront autre chose à leur Jômba, pas l’UPC !

Le pouvoir en place a accéléré et aggravé l’appauvrissement des populations pour pérenniser sa domination sur elles. Ce pouvoir ne lutte pas contre la pauvreté : il lutte contre les pauvres ! C’est pourquoi les moyens déjà difficilement réservés à la nivaquine et à l’eau potable sont toujours impunément détournés. Depuis son indépendance politique, notre pays est victime d’une administration vorace. Pour que le Cameroun accède à son indépendance économique, il nous faut des producteurs de richesses, des femmes et des hommes qui résistent à la faim et à la soif pour les avoir dominées par leur travail personnel de production.

C’est parce qu’ils ont su dominer leur faim et leur soif personnelles que les Pères Fondateurs de l’UPC ont conquis l’indépendance politique du Cameroun. Il faut consolider cette indépendance politique par une indépendance économique - laquelle passe par la libération de nos populations. Et libérer nos populations, c’est les amener à produire elles-mêmes des revenus qui leur permettent d’acheter elles-mêmes leur savon, leur nivaquine, leur pétrole.

Jeune Camerounais, Femme du Cameroun, Camerounais du Cameroun,

Tu n’es pas une jeunesse libre, tu n’es pas une femme libre, tu n’es pas un homme libre si tu dépends de quelqu’un d’autre pour avoir ton morceau de savon, ton sel ou ton pétrole.

Or cette politique de libération économique du peuple camerounais ne se fait pas ; elle est même combattue par le pouvoir dont le programme reste d’appauvrir le peuple pour mieux le dominer. C’est ce pouvoir-là qu’il nous est difficile d’applaudir. D’aucuns profitent de notre réserve pour prétendre que l’UPC 48 est dans l’Opposition. En vérité ce sont les autres, tous les autres partis politiques créés après 1948 qui s’opposent à l’UPC. Pendant longtemps, cette opposition était nourrie de l’extérieur de l’UPC et du Cameroun. Ces dernières années, comme vous le constatez, l’opposition à l’UPC 48 est orchestrée de l’intérieur même de l’UPC.

Il faut cependant rappeler aux professionnels de l’amalgame que par vocation l’UPC 48 milite pour la respectabilité internationale du Cameroun et pour le bien-être de ses populations. Mais

  • Si dénoncer l’institutionnalisation de la corruption signifie être dans l’opposition,
  • Si combattre l’enrichissement illicite signifie être dans l’opposition,
  • Si stigmatiser une administration improductive et de rapine signifie être dans l’opposition
  • Si refuser l’appauvrissement organisé des populations signifie être dans l’opposition,
  • Si interpeller les décisions qui font honte à notre drapeau signifie être dans l’opposition,
  • Si rejeter l’instrumentalisation du Législatif et du Judiciaire signifie être dans l’opposition,
  • Si revendiquer un avenir décent pour nos enfants signifie être dans l’opposition,

Alors, bien sûr, nous sommes de l’opposition ! Car dans ces conditions, opposition est synonyme de patriotisme. Je suis donc de cette opposition-là ! Et j’entends bien y rester, non par aigreur, mais par lucidité et par sincérité. Nous avons de la considération, et parfois du respect pour les Camerounais qui militent dans les partis autres que l’UPC. Nous reconnaissons à chacun le droit de se tromper de patriotisme. Mais ceux qui, pour avoir « un morceau » ou une fonction d’Etat, portent les couleurs de l’UPC et s’en vont battre campagne pour un système qui a bouché l’horizon de nos enfants, ceux-là ne peuvent s’attirer que votre mépris. Qu’ils prennent donc directement la carte du parti où ils sont en concubinage ! Ce serait, à tout perdre, moins indigne. Mais qu’ils ne comptent pas sur notre bonne éducation pour nous faire applaudir leur affaissement moral et leur imposture politique. Car s’il y a plusieurs manières de servir sa patrie, cautionner une gestion nationale calamiteuse sous prétexte que nous en tirons un profit personnel, c’est desservir sa patrie.

Notre pays tarde malheureusement à guérir des pratiques autocratiques du parti unique. Le Cameroun a cependant besoin d’un pluralisme salubre, et d’une opposition franche. En matière de démocratie et de gouvernance, un désaccord sincère est de loin plus utile à la nation qu’une flagornerie financée. L’expérience de la vie ayant montré qu’un ami irresponsable est plus dangereux qu’un adversaire éclairé, les observateurs de la scène politique camerounaise mesurent chaque jour combien les adeptes du concubinage politique embarrassent leurs propres alliés. Et chacun a palpé la vague d’indignation qu’ils provoquent dans l’opinion nationale. Ces observateurs se demandent encore si le pouvoir avait vraiment besoin de diffuser de lui-même cette image supplémentaire de corruption…

Mais cette culture de la corruption où le pouvoir a installé le Cameroun explique pourquoi certains adultes refusent de former des jeunes pour la relève. Les plus équipés tirent leurs dernières cartouches contre l’avenir, pour que toutes choses conduisent à eux, s’arrêtent à eux, et avec eux. Quand un homme d’un certain âge choisit de combattre ses propres enfants pour sauvegarder ses intérêts personnels, il finit par provoquer des « tirbilences sociales très dangéréses»…Si Ruben Um Nyobe avait fait pareil, le Cameroun n’aurait pas aujourd’hui des ministres d’Etat chargés de détruire l’UPC ou de la détourner de sa vocation progressiste.

En cette veille des « élections » législatives et municipales, le pouvoir a pris notre Mouvement en otage. Il l’a confié à ses domestiques. Tous espèrent que notre peuple déjà mutilé en sortira encore plus affaibli. Pour nous, l’UPC est l’enfant du jugement de Salomon : plutôt que de voir découper son enfant, le vrai parent préfère encore le voir entier, même entre des mains scélérates. L’usurpation de parenté ne peut être que temporaire, éphémère. L’UPC est un enfant qui sait toujours reconnaître ses vrais parents, et qui finit toujours par retrouver le chemin qui conduit vers la maison de sa vraie famille.

Nous devrons cependant contribuer à accélérer ces retrouvailles. L’UPC a conquis l’indépendance du Cameroun. Les Upécistes doivent conquérir l’indépendance de l’UPC. Il faut restituer l’Union des Populations du Cameroun à toutes les populations du Cameroun. Pour ce combat décisif, soyons prêts à adopter une stratégie à nous pour que l’UPC revienne aux nationalistes et aux patriotes de conviction que vous êtes.

Les Martyrs que nous enterrons aujourd’hui étaient de cette graine-là. Ils nous ont montré la voie. Ils ont enseigné par l’exemple que les seules actions valables sont celles qui résistent au temps et qui profitent à ceux qui viennent après nous.

C’est pour exalter cette générosité de visionnaire que Ruben Um Nyobe aimait chanter le Cantique 21 de l’Eglise Presbytérienne du Cameroun.

Chant

Aujourd’hui, chacun se proclame « héritier » de Ruben Um Nyobe. On a même vu un jeune vendeur de noix de cocos à Edéa se baptiser « Um Nyobe » et se présenter comme sa réincarnation. Mais comme son nom l’annonçait, le chimpanzé a fini par rentrer en brousse. D’autres héritiers autoproclamés impriment des tricots et osent placer leur visage à côté de la figure emblématique de Mpôdôl ! Ils prétendent qu’ils ont la « même vision » que Ruben Um Nyobe : la nuque et le front peuvent-ils avoir une même vision ?

Ces « héritiers » d’occasion ne se sont pas contentés de parasiter l’œuvre de Mpôdôl et de profiter de son sacrifice : ils le livrent quotidiennement à ses bourreaux ! Ils combattent l’UPC 48 avec acharnement. Mais on les entend déclarer qu’ils commémorent le 10 avril 48 et le 13 septembre 58 ! De quel 10 avril parlent-ils si 48 ne signifie rien à leurs yeux ? De quel 13 septembre parlent-ils ? Quels sont leurs Martyrs à eux maintenant qu’ils ont choisi de détruire l’UPC 48 ?

Leur complot contre l’histoire patriotique visait à effacer de nos mémoires tout souvenir des Patriotes. Soixante ans que cela dure ! Certains sont passés près de la fosse commune de Môm Dibang ; ils ont multiplié des promesses, mais ils ont juste offert de l’alcool pour toute action. Votre présence à Môm signifie que ce complot de l’amnésie est en train d’échouer. A vous, désormais, d’établir la différence entre les patriotes et les domestiques du pouvoir. Nous portions sans doute les mêmes couleurs. Mais il n’y a jamais eu, il n’y a et il n’y aura d’UPC que celle des Martyrs que nous sommes venus célébrer à Môm. Ceux qui ne sont pas avec nous aux côtés de ces Martyrs, ceux-là ne sont simplement pas avec nous !

Pourtant ils viendront demain à la pêche aux voix, déguisés en upécistes. En réalité, ils se presseront d’offrir vos voix au pouvoir qu’ils servent contre nous. Ils viendront, non parce qu’ils vous respectent, mais parce que vous comptez et qu’ils cherchent à vous utiliser pour leurs promotions personnelles. Eh bien, puisque vous comptez, ils apprendront désormais à compter avec vous. Ils veulent un vote ? Ils auront le vote qu’ils méritent : ils auront le vote de leur sanction !

Upécistes ! Patriotes, sanctionnez le concubinage politique !

Il faut les «pinir ». Et ils seront « pinis » !

Camarades,

L’heure de la clarification a sonné. Il ne suffira plus de porter le crabe noir sur fond rouge pour avoir un certificat de nationalisme; il faudra dépasser le militantisme de casquette et le valider par le patriotisme, puisqu’on a vu des boutiquiers de l’UPC porter le crabe noir et le livrer au marché du concubinage avec un autre parti politique. Certains se servent de l’UPC comme fonds de commerce, monnaie d’échange pour marchander des positions de confort. Ils incitent d’autres Camarades à se compromettre gravement pour assouvir leurs appétits matériels. Or le 17 mai 1953, le Bureau du Comité Directeur l’a affirmé sans réserve : l’UPC n’est pas « une organisation à vendre et acheter comme le sont l’ESOCAM et ses semblables ». Posons-nous donc cette question : quand nous aurons été Ministres, Députés ou Maires pendant toute notre vie, qu’aurons-nous laissé comme héritage moral et politique à nos populations ?

L’héritage de Ruben Um Nyobe n’est ni financier, ni matériel. C’est un héritage humain. Mpôdôl a renoncé aux honneurs, pour l’honneur. La pédagogie de son engagement se trouve dans la différence entre ce singulier et ce pluriel : car dès qu’il passe au pluriel, le terme « honneur » perd sa valeur éthique et pousse à la compromission. Les honneurs, éphémères et circonstanciels, ne valent pas l’honneur – qui seul triomphe du temps. L’honneur de Ruben Um Nyobe et de ses compagnons, l’honneur des Martyrs de l’UPC est donc aussi de nous enseigner par leur exemple de désintéressement qu’il faut savoir s’oublier pour devenir inoubliable.

Camarades,

Mesdames et Messieurs,

C’est le lieu de dénoncer l’autre complot dont notre Mouvement est victime depuis l’Indépendance, à savoir la tribalisation de l’UPC.

Quand il a fallu à une époque que des ministres entrent au gouvernement sous les couleurs de l’Union des Populations du Cameroun, tous les portefeuilles ont été confiés aux ressortissants d’une seule et même tribu. Les instigateurs de ce complot voulaient prouver que l’UPC n’est qu’un parti tribal. Et les « alliés » du système ont souscrit à cette manœuvre. Pourtant, l’UPC n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais un Mouvement ethnique ou régional. Le fief de l’UPC est national. Mais puisque tout est entrepris pour entraver son impact national, il nous revient de travailler pour que l’UPC 48 retrouve son assise nationale et toute sa dimension internationale.

Nous disposons de plusieurs atouts : non seulement l’UPC est le seul Mouvement camerounais que les historiens connaissent, mais au moment où nous parlons, les populations du Cameroun attendent que l’UPC se réorganise pour concrétiser elle-même son programme social. Car bien que ce programme soit de plus en plus plagié, il demeure mal appliqué par les plagiaires.

L’enjeu consiste à restaurer la liberté et la dignité de toutes les populations du Cameroun par la production locale de revenus individuels ou collectifs. L’UPC a une vocation de libération ; et la capacité d’un peuple à dire « Oui ! » ou « Non ! » tient à sa capacité de satisfaire ses besoins élémentaires. Il peut en résulter une liberté de choix qui protège nos populations des tentations de la corruption électorale. De cette manière, nous ne serons plus obligés de repêcher des tocards comme en 2002, lorsque deux candidats aux Législatives a perdu les élections jusque dans leur propre village, obligeant les autres candidats à combler leurs déficits électoraux.

Le sigle de l’UPC a été arbitrairement attribué aux domestiques du pouvoir, comme il y a quelques années. Mais ils n’ont pris que l’emballage ; c’est vous qui conservez l’âme immortelle. La voix de nos Martyrs doit donc continuer de se faire entendre dans la nation. Rappelons-nous qu’au-delà des étiquettes administratives, ce qui compte c’est l’action concrète auprès de nos populations. Car ce que vous voulez, ce sont des Elus qui travaillent pour vous, pas de simples porteurs de cravates ou de simples porteuses de chignons.

Il vous appartient de faire un choix judicieux de jeunes, de femmes et d’hommes capables de faire triompher l’esprit de 48 et disposés à le traduire en actions positives sur le terrain. Ne nous laissons pas distraire davantage. Pourquoi nous essouffler à rattraper un voleur d’emballage alors que c’est nous qui maîtrisons le contenu immortel de l’UPC ? Nous avons gardé la foi et le courage qu’il faut. Nous avons les jeunes, les femmes et les hommes qu’il faut. Apprêtons-nous. Surtout, apprenons dès maintenant à faire la passe électorale aux Camarades qui peuvent marquer des buts pour notre victoire collective.

Si nous prenons cette option, toutes nos populations, tous partis politiques confondus, soutiendront nos efforts patriotiques. Car ces populations vous ont vus à l’œuvre : elles savent déjà, et elles ont compris que les Elus de l’UPC 48 sont les seuls qui, jusqu’ici, ont travaillé pour l’intérêt général.

Le hasard a voulu que nous en parlions solennellement ici même, au pied du Mémorial du Martyr Inconnu. Mais le hasard, c’est l’autre nom de Dieu; c’est pour cela qu’on dit qu’il fait bien les choses.

Nos Martyrs sont profondément attristés par les divisions actuelles, provoquées par les uns et entretenues par les autres. Dans leur profonde tristesse, ils déplorent en silence les brutalités administratives dont nous sommes victimes. Mais ces stratèges expérimentés de la lutte sous maquis savent qu’en adoptant un nom de combat nous n’avons pas abandonné nos convictions de patriotes. Nous avons changé de maillot pour un match, nous n’avons pas changé d’équipe. Un silence politique de cinq ans desservirait notre cause et nous exposerait tous à la libre calomnie de l’adversaire. Notre mobilisation individuelle est donc un impératif patriotique.

Comme vous savez, je ne suis pas important ; c’est vous qui m’avez enseigné à faire de petites choses que vous trouviez importantes pour vous. Et quand une chose est importante pour vous, elle devient aussitôt importante pour moi.

Je suis donc aussi venu vous dire, sous le regard de nos Martyrs, que nous avons encore beaucoup de petites choses importantes à réussir ensemble.

C’est l’engagement individuel de chacune et de chacun d’entre nous qui garantira la victoire de notre action patriotique collective.

Vive l’UPC 48 !

Gloire aux Martyrs de l’Indépendance,

Dieu bénisse le Cameroun !