dimanche 26 novembre 2006

Question Orale à M. Le Ministre de l'Economie et des Finances

QUESTION ORALE A M. LE MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES

(Vendredi, 24 Novembre 2006)

Excellence,

Le Vendredi 9 juin 2006, répondant à une Question orale sur des fraudes douanières liées aux importations illicites de lait au Cameroun, vous avez solennellement déclaré devant l’Assemblée nationale :

« Des actions énergiques ont été entreprises pour récupérer les droits de douanes compromis allant jusqu’au blocage des comptes bancaires de l’entreprise Nestlé. Les droits compromis ont été comptabilisés et acceptés d’accord parties et le payement de ces droits est actuellement en cours et devrait s’achever au plus tard à la fin du mois de juin. C’est cette voie que nous avons suivie, la voie de l’efficacité qui nous permet de récupérer nos droits ». (cf. Procès verbal de la séance plénière, p. 25)

Nous vous sommes reconnaissants de votre intention d’efficacité, car ces droits s’élèvent à près de deux milliards (1 925 734 736) de nos francs, et les Camerounais en ont plutôt grand besoin en ce moment. C’est pourquoi six (6) mois après votre engagement solennel devant l’Assemblée nationale, et afin de nous permettre de fermer ce dossier sensible, nous vous prions de bien vouloir certifier que ces droits ont été effectivement récupérés.

Votre certification nous soulagera d’une profonde inquiétude : les Députés sont en effet effrayés d’apprendre, sur document, qu’au lieu de récupérer les sommes dues, votre Excellence a plutôt diligenté des missions très spécifiques auprès de Nestlé Cameroun – pour gommer sa dette de fraude envers le Trésor public.

Vos collaborateurs auraient si bien travaillé qu’ils ont déclaré nuls et sans fondements cinq (5) Procès-verbaux antérieurs, dressés par leurs collègues Inspecteurs entre décembre 2001 et mai 2006, et un Rapport d’expertise judiciaire - documents qui ont conduit au verdict n° 650 du 16 sept 2004 que la Cour d’Appel a confirmé le 19 mai 2006.

Vos mandataires s’appuyaient sans doute de bonne foi sur la Loi des Finances n° 0098/009 du 1er juillet 1998, qui exonère certains produits incriminés de la TVA. Seulement, ces Inspecteurs, hauts fonctionnaires assermentés des Douanes et des Impôts, ont agi en violation flagrante du Code Douanier International que le Cameroun applique.

La Section 3 de ce Code porte dispositions communes aux procès-verbaux de saisie et aux procès-verbaux de constat. En son Article 313 nous lisons « Celui qui veut s’inscrire en faux contre un procès-verbal est tenu d’en faire déclaration par écrit (…) au plus tard à l’audience indiquée par la sommation de comparaître devant le tribunal qui doit connaître de l’infraction ».

Or dans le cas d’espèce, M. Le Président, au moment où M. le Ministre nous parlait ici en juin 2006, la Cour d’Appel avait déjà confirmé le verdict sur la fraude en mai 2006. Cela n’a pas empêché que le Ministre dépêche des missions de nettoyage auprès de Nestlé. Il nous revient d’ailleurs que l’hospitalité lactée et les conditions de travail « concentrées et sucrées » - que Nestlé a garanties aux mandataires de M. le Ministre ont renforcé l’efficacité de leur gomme.

C’est ainsi que dans leur Rapport daté du 29 septembre 2006, ils ont annulé la créance de Nestlé à…85,30%, passant de 1 925 734 736 à …seulement 283 374 167 FCFA !

J’ai voulu me consoler en pensant que Nestlé ayant néanmoins reconnu ses torts et déposé une caution de 400 millions dans les caisses de l’Etat, nous n’aurions à lui reverser qu’un trop perçu de 116 625 833 FCFA ! Hélas, il n’en est même pas question. Car votre nouveau Procès-verbal souligne que même ces 283 millions de TVA ne sont pas imputables à Nestlé. En anglais comme en français, cela veut dire que sur deux milliards, Nestlé n’a plus rien à payer au trésor public camerounais !

Mais dans le même temps, le Trésor public, nos impôts, devront payer des honoraires de 240 millions, pour les cabinets d’avocats mobilisés par M. le Ministre.

Excellence,

Vous savez qu’une enquête internationale de l’Office Européen de Lutte Antifraude (OLAF), organe de la Commission Européenne, a confirmé cette fraude. Si vous estimez que l’image du Cameroun mérite un meilleur éclat auprès de ce partenaire privilégié, et si vous pensez que l’Assemblée nationale du Cameroun mérite quelques égards, c’est le moment de nous dire la vérité. Car pour que les choses se passent ainsi, il faut qu’il se soit passé des choses…

Comment Nestlé a-t-il fait pour obtenir du Ministre de l’Economie et des Finances du Cameroun que malgré les conclusions d’experts et les verdicts des tribunaux, une créance pour fraude douanière de près de deux milliards soit effacée d’un claquement de doigt, alors que Nestlé, avait reconnu son délit et déposé une caution de 400 millions de francs dans les caisses de la douane suite au blocage de ses comptes ?

M. Le Président,

Le respect que je vous dois - à vous et à la Chambre entière, me commande de nuancer mes propos. Mais chacun conviendra que cette situation est renversante.

Car maintenant, Mesdames et Messieurs les Députés, ce n’est même plus Nestlé qui doit payer des dommages au Trésor public camerounais. C’est le Cameroun qui doit reverser à Nestlé une caution que notre Ministre veut déclarer indûment perçue ! Grâce à cette manière d’efficacité, Nestlé coupable de fraude douanière culpabilise le Trésor public, sa victime. Et comme par hasard, sur les six (6) sociétés épinglées dans cette immense fraude, seule Nestlé a bénéficié de tant de sollicitude.

M. le Ministre, La Chambre ne vous demande pas de lui révéler ce qui a…motivé cette curieuse entreprise de nettoyage, et la surprenante discrimination qui la caractérise.

Seulement, des deux choses l’une :

- Si vous nous assurez que c'est sur "hautes instructions du Chef de l'Etat" que vous offrez tant de lait à Nestlé qui en produit, je retire ma question...Mais je ferai noter sur nos PV à nous que personne ne devra, à l'avenir, reprocher à l'Assemblée Nationale d'avoir laissé tout un Ministre de l'Economie et des Finances se noyer dans une piscine de lait.

- Si en revanche, c'est par un syndrome de biberon personnel que vous vous acharnez à effacer en faveur de Nestlé deux milliards de fraude, contre l'intérêt d'un Pays Pauvre Très Endetté - qui aurait pu être considéré comme votre pays - alors un sevrage s'impose.

Mais Excellence, malgré ce qui ressemble à une indélicatesse vis-à-vis du Trésor public, l'Assemblée nationale serait disposée à vous faire une gentillesse: mettre en place une Commission ad hoc pour vous protéger contre toute personne qui vous empêchera désormais de faire valoir vos droits à la démission.

Je vous remercie Monsieur le Président.